« The land owns us »

– Australian Aboriginal Saying

26 janvier – Australia Day. Ta premiere réaction sera de m’interroger « C’est quoi l’Australia Day? », même si ce simple nom est évocateur. Je te répondrai laconiquement,

« l’Australia Day, c’est un peu comme notre 14 juillet en France, la fête nationale », mais ce serait faux, car au fond c’est tout le contraire, l’opposé même !

Si en France le 14 juillet sonne comme la libération du peuple opprimé face à la monarchie, véhiculant des valeurs fortes, fondamentales – voire constitutives de notre société moderne – d’autant de symboles positifs, de joie ou encore d’allégresse, en Australie, le 26 janvier sonne comme la confiscation des terres aborigènes par l’Homme blanc et le génocide des occupants de cette terre à l’autre bout du monde.

Le folklore est la clé du souvenir

Oui, tu l’auras compris l’Australia Day est la fête de la colonisation de l’Australie par les anglais, la fête de la barbarie et de la spoliation.

Dis comme cela, je te l’accorde, ç’est violent – et probablement parti pris – cependant, c’est une réalité qui parfois me rappelle les heures sombres de notre histoire récente, je pense notamment à la Shoah ou encore à l’Apartheid en Afrique du Sud.

Attention, ne te méprends pas, je ne juge personne, surtout pas l’Australie d’aujourd’hui que je chéris et dont je rêve tant de l’appeler un jour ma maison, ma patrie ! L’Australie que nous connaissons n’est en rien responsable de son histoire, nous – ils – sommes les enfants de toutes les tragédies du passé, et si nous ne pouvons pas la changer, nous avons l’obligation du devoir de mémoire. Au delà même, nous devons réconcilier, nous devons pardonner, nous devons nous excuser pour tout le mal  et la douleur engendré – partout dans le monde – , nous devons incarner cette voix, et nous devons bâtir tous ensemble sans laisser quiconque sur le bord du chemin.

La encore, ça peut paraître bien utopique, voire « bobo », mais j’y crois fermement. Peut-être parce que mon histoire personnelle – même si je te le concède, est beaucoup moins douloureuse que ce que vivent les aborigènes australiens – depuis ma tendre enfance m’a enseigné ce que ce que d’être le vilain petit canard, celui qui est différent, celui que l’on a voulu exterminer, stigmatiser ou encore torturer. Pourtant je n’ai jamais tellement connu la violence physique, mais celle des paroles, oui ! Celle qui détruit encore plus chaque jour, celle qui entre dans ton esprit et qui s’y ancre fermement, celle qui parfois pourrait te faire regretter d’être qui tu es, mais celle qui aussi qui te rend encore plus fier de ton appartenance, de ton ethnie, enfin, celle qui te pousse à ne jamais subir et à embrasse le combat idéologique, quel qu’il soit !

Aujourd’hui encore nombre de mes amis vivent dans la peur et dans la crainte d’être torturés juste car ils ont juifs, même si pour ma part je crois sincèrement et profondément que la France est beaucoup moins antisémite qu’il y a 40 ans. Je suis né 32 ans après la fin de la seconde guerre mondiale, et encore à cette époque, l’hostilité, la peur de la différence ou plutôt la connerie humaine étaient toujours reines dans le pays de l’ignorance et de la bêtise.

Je ne suis ni Johnny Clegg, ni d’ailleurs un défenseur de quelconque opprimé, je ne suis juste qu’un témoin

– qui aide quand il peut, comme il peut – et à te dire vrai, nous pourrons toujours essayer de nous convaincre que nous sommes tous frères, que nous comprenons leurs douleurs, et bien c’est faux ! Non pas que nous ne soyons pas frères – au contraire – mais probablement toi comme moi sommes nés du bon côté de la barrière, nous sommes « blancs », ce qui, que tu le veuilles ou non, nous donne un avantage dés la naissance, creusant encore plus l’inégalité entre les êtres humains. Alors, oui, j’aime ces gens, et je crois sincèrement que nous sommes tous frères, qu’au delà de nos différences, nous avons tous à apprendre les uns des autres. Je me rappelle mes quelques mois up north avec mes amis aborigènes, je me rappelle combien ils m’ont appris à vivre dans le bush, combien ils m’ont ouvert leurs coeurs – faisant fondre le mien par la même occasion. Je me rappelle aussi, la leçon que la vie m’a assené.

La roue tourne pour tout le monde, un jour tu es fort, un jour tu es faible, un jour tu es le colonisateur, l’autre tu es le pourchassé,

bref ce qui est la faiblesse d’un jour, deviendra la force du lendemain, car nous ne maitrisons rien, surtout pas l’avenir – la crise sanitaire actuelle n’en est qu’un piètre exemple.

Je ne veux pas te faire de grande théorie, je veux juste échanger avec toi, sans parti pris, et te relater ce dont encore une fois je fus le témoin. Je ne parle pas ici de spectacle, de bonne humeur, de fête ou quoi que ce soit, mais bien de la bonté intrinsèque de l’Homme.

Je me dois avant de rentrer dans le vif du sujet de faire encore une digression – la dernière !

Il faut que tu saches qu’en Australie, ces dernières années, de nombreuses voix se sont élevées en faveur de la communauté aborigène, bien au delà de la condition de vie dans laquelle l’Homme blanc les a réduit, pour rétablir leur existence au sens de l’histoire.  Oui, au sens de l’histoire ! Ca ne doit pas te paraitre si perché que ça, car dans de nombreux pays dans le monde dans lesquels la colonisation a sévit, de nombreux pays dans lesquels l’Homme blanc s’est approprié la terre sans préavis, chassant les autochtones, que dis-je, exterminant les autochtones, prônant malheureusement la théorie du grand remplacement, en créant un nouvel état et occultant toute histoire antérieure. Je suis certain que toi aussi, çà te rappelle des passages sordides de notre histoire universelle ! Sauf qu’ici, en Australie, tout s’est passé il y a peine 250 ans… ce n’est ni le Moyen-Âge, ni le siècle des Lumières !

Toutes les générations sont représentées

Les politiques s’y sont engouffrés également, car les aborigènes sont loin d’être en nombre insignifiants en Australie, et règnent encore en maîtres sur beaucoup de contrées isolées. En maître, le mot est un peu fort, je te l’accorde. Ils essaient tant bien que mal de survivre sur des terres où l’Homme blanc ne veut pas vivre ! Le politique l’a bien compris, il faut composer avec.

Toujours est-il qu’à force de lobbying, la voix des aborigènes commencent à se faire entendre, leur art est reconnu ainsi que leurs traditions.

Ils sont de plus en plus remis en grâce aux yeux de la population, comme les pères fondateurs de la civilisation sur le continent.  Je ne vais pas te le cacher, pour beaucoup c’est encore du « bobohisme » que de les défendre, car au fond c’est l’Histoire qui est réhabilitée, certainement pas les aborigènes dans ce qu’ils sont aujourd’hui, je veux dire par là, que le « blanc » n’est pas encore prêt à concéder son petit confort moderne au detriment d’un aborigène. Je reviendrai un peu plus tard sur ce point, qui est est loin d’être un point de détail.

Peu importe, le fond de chacun, ce qui importe, c’est la reconnaissance. Aujourd’hui te disais-je de nombreuses voix font leur « mea culpa » au nom de leurs ancêtres, ainsi, la polémique s’amplifie massivement autour de cette célébration. La fête de la création de l’état australien d’un côté, contre le symbole de la spoliation des terres aborigènes par les colons, la torture et l’esclavage de l’autre. Polémique il y a, oui. « Change the date » peut on lire partout, car personne ne doit et ne peut se réjouir de célébrer cette période triste de l’histoire, personne ne peut se réjouir de la confiscation  de la terre aborigène par le blanc, personne ne peut se réjouir du génocide perpétré. Les mentalités changent peu à peu, probablement car l’Australie est aussi une terre d’accueil pour un grand nombre d’immigrés qui  eux aussi ont pu connaitre cette histoire tragique au sein propres patries.

La voix des aborigènes se fait donc entendre encore plus le 26 janvier, proclamant haut et fort « Always was, Always will be Aboriginal Land », arborant les couleurs de leurs communautés, soutenus pas beaucoup de « blancs ».

Pourtant, et désolé de mettre les pieds dans le plat, je suis bien obligé de constater que très souvent – trop souvent- le « noir », ou plutôt l’aborigène australien te dérange, il te fait peur ! Oui, toi, le « blanc bien pensant » combien de fois t’ai-je entendu me dire, « Ne t’arrête pas dans ce village c’est affreux, il n’y a que des aborigènes », ou «  il y a encore eu un vol, c’est un aborigène », ou encore « ils sont tous drogués, alcoolisés et traînent comme des SDF dans la ville », et même pire « dans le bus ils sentent ! »… Rien que d’écrire çà j’ai un noeud dans le ventre, tant de monstruosité, tant d’hypocrisie. Oui parfois ce sont des aborigènes impliqués dans une erreur de parcours, mais bien plus souvent ce sont des blancs, soient un peu lucides, enlève tes œillères !

Tu es perdu, tu te demandes qu’elle est la morale de ce récit… il n’y en a pas je crois, juste te raconter mon Australia Day.

Depuis quelques semaines je ne peux te le cacher plus longtemps, je suis un peu down, en attente de mon visa, en attente de savoir si je vais pouvoir rester sur le territoire ou devoir partir sans préavis. Je suis comme sur le bas côté du chemin, observant les autres avancer, impuissant, spectateur de leurs vies, mais certainement plus acteur de la mienne. Et lorsque je suis dans cet état, une seule chose me permet de refaire surface, la photo, la photo de portraits, celle pour laquelle tu es contraint de mettre à nu ton âme pour tenter de capter celles des autres.

Alors ce 26 janvier, je me suis fait violence. Direction Perth, Supreme Court gardens où à lieu un concert. Concert ? Pas n’importe lequel, les chanteurs et les groupes sont tous issus de la communauté aborigène. Dans mon esprit, de belles photos, de belles personnes, la vraie Australie.

A quelques centaines mètres du lieu de concert, la foule est dense et la circulation à l’arrêt. Il n’en faut pas plus à mon esprit tordu du moment pour essayer de me convaincre de faire demi-tour. Et puis, j’insiste, je brave les embouteillages, au volant de ce pauvre Marcel…violence te disais-je, oui c’est le mot. Je me gare, sur mon « home spot » tout proche de mon école, puis marche une bonne dizaine de minutes. Là encore, une foule dense, des mesures sanitaires à l’entrée – excessivement légères- nous rappellent que le COVID sévit dans le monde entier.

Toujours pas si ravi que çà d’être là, j’ai d’abord comme un sentiment de panique, trop de monde, trop de bruit, trop de … tout !

Je fais un rapide tour, et décide que je ne sortirais pas mon appareil photo, je ne suis pas au cirque ! Il y beaucoup de familles aborigènes, ils sont en nombre, en supériorité par rapport aux blancs, et déjà un signe de bienveillance, alors qu’ils pourraient être aigris, qu’ils pourraient à juste titre en vouloir aux blancs, tu ne ressens aucune agressivité, mais de la douceur dans les regards, dans les gestes ou encore dans les attitudes.

Pour en revenir à ma tirade sur les « bobo blancs », ils sont là, portant des vêtements aux couleurs aborigènes, des écriteaux parfois, en signe de soutien à l’autochtone. Pourtant, ce qui est frappant, c’est bien la séparation entre les blancs et les noirs. Pas de mélange ou très peu, comme s’ils avaient peur de l’aborigène. Alors oui, ils ne partagent pas les mêmes codes, les mêmes coutumes de vie, oui je te l’accorde. Mais ne crois-tu pas que le jour de cette fête, en signe de soutien un peu de mélange pour une fois ne serait-il pas réellement signe de repentance ?

Pas de jugement. Un constat. Je ne suis pas plus fort ou pas plus courageux que toi. Cependant une chose me différencie de toi, mon histoire. Au delà de l’antisémitisme qui a guidé ma vie, il y a aussi, ma chute. Cette chute vertigineuse qui m’a vu en quelques semaines passer d’un statut de millionaire à celui de SDF. Et dans cette chute, le vilain petit canard, celui qui est au bas de l’échelle, celui que tu ne regardes même pas dans la rue, celui qui te fait peur, oui, celui la meme, il m’a offert sa chemise, partager son maigre repas, et donner ce que nous avons de plus précieux, la chaleur humaine. Alors oui, s’il y un « opprimé » autour de moi, je veux lui parler, je veux échanger avec lui, je veux le connaître, car dans cette vie, j’ai beaucoup plus appris, je me suis beaucoup plus éveillé à son contact qu’à celui de l’élite bien pensante.

Pardon. Je digresse. Pardon, mon coeur prend le dessus, mes emotions sont à fleur de peau.  Pardon de ces parallèles qui peuvent te paraître plus que douteux. Mais je suis fais de ce bois, c’est devenu mon essence, qui je suis.

Alors ? Alors quoi ? Je sors finalement mon appareil photos et je commence à faire ce que j’aime, photographier. Photographier la joie d’un peuple qui danse et chante au son de la musique en ce jour de célébration de l’Australie.

De petits gestes en petits gestes, de remerciements, de sourires, de rires partagés, bientôt, à la vue de ma camera, les aborigènes  posent, heureux de se faire tirer le portrait ! Encouragé, je déambule entre les groupes, m’approche de la scène, repars dans le public, bref, je vis le moment intensément. Depuis mon arrivée, je dois te l’avouer quelques groupes ont attirés mon attention. Je rêve de les photographier tellement leurs visages sont burinés, marqués, chargés d’émotions, touchants, attendrissants de beauté.

Dans un moment d’égarement, je demande à un homme, il accepte, bientôt, un deuxième s’approche et me demande de le photographier. Puis une dame, puis une autre, puis des groupes entiers, famille, enfants….

Jason me demande de photographier sa famille

Je suis sous le charme. On rit, on se serre dans les bras… on vit !

Je dois même t’avouer que j’ai fais bien plus d’images que je ne pouvais l’imaginer. Probablement loin d’être les plus artistiques dans toute cette cohue, mais elles sont autant de bons souvenirs. Comme lors de mon séjour dans le nord, j’ai découvert des aborigènes, heureux, sympathiques, apaisés alors qu’ils ont été spolié par le blanc, sans rancune … étrange sentiment. Sentiment que je partage, « le pardon c’est la vie ».  Une fois n’est pas coutume, je ne peux que m’incliner devant tant de sagesse. Je t’assure qu’ils pourraient pourtant avoir la haine du blanc, la haine du colon… mais non.

Je me sens comme un poisson dans l’eau, dans mon élément, leur gentillesse est mon or.

Jamais je n’ai eu de mauvaises experiences au contact des aborigènes, je te l’ai déjà dit mais mon experience dans le Kimberley a changé ma vision de l’Australie, ou cette rencontre avec 2 jeunes filles qui avaient sensiblement l’âge de mes filles à Wyndham, respectueuses, ultra bien éduquées, et si cultivées, que ce fut un bonheur de les photographier à leur demande et ensuite de leur montrer sur l’écran de la camera dans des éclats de rires incontrôlés. Ou encore tout prés de Karijini, au milieu de nulle part, alors que je traversais une ville fantôme, plus de 100kms après la dernière roadhouse, 2 véhicules stationnés me font des grands bonjour à mon passage et me font signe de m’arrêter ! Des aborigènes de la communauté voisine, ils sont curieux, de ma vie, de la France, je suis curieux de la leur – malheureusement COVID sévissant je ne pourrais visiter leur communauté – on discute, dans le respect, puis je repars !

Le rire et l’autodérision d’un peuple en souffrance

Mon Australia Day a donc été un pur moment de joie, un catalyseur de bonheur, il m’a remis en selle vers ma destinée, la piqure de rappel, la vie est belle même les 2 pieds dans la merde, cherche le beau ou il est, tourne toi vers la lumière et ton monde n’en sera que plus beau !

Enfin, et pour mémoire, ou plutôt enseignement de cette journée, je garderai ces quelques mots échangés avec mon camarade de l’instant.

Teuch m’a posé la question ainsi « Tu en penses quoi de ce jour? », question piège, ou pas, réponse simple, « Ce n’est pas un bon jour, certainement pas un jour de fête ».

Un frère, une soeur, la famille, les amis… autant de bonne humeur

Elle m’a dit ces mots, «  Aujourd’hui nous essayons de survivre… il y a 250 ans nous avons survécu, alors nous survivrons encore au moins 200 ans ! »

Puis « Toi qui est blanc, pourquoi tu traînes avec les noirs ? »… « Pour çà, pour ton sourire ! »

 


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